Waldemar Kamer

Mises en scène d'Opéra



Critiques du spectacle

(extraits) -------- Cette création mondiale aura été singulière par bien des aspects.

Le jour de la première, le 13 mai 2003, débutait une grève nationale des fonctionnaires français. L’Esplanade de Saint-Etienne fut l’un des seuls, voire le seul opéra en France à jouer ce soir-là. La salle était pleine, mais les places de presse quasi vides puisqu’il n’y avait pas de trains. Seule la presse locale et internationale, déjà sur place ou arrivée la veille, était présente. Ainsi on a parlé de Marianne d’abord à l’étranger – elle a fait la “une” du prestigieux magazine d’opéra allemand Opernwelt – et seulement sept mois plus tard en France, au moment de la première série de retransmissions télévisées pour les fêtes de fin d’année.

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OPERA GAZET : “comme on n’en a pas vu depuis des années

De mémoire d’homme, on n’a pas écrit un livret contemporain aussi puissant : un fabricant et vendeur d’abattoirs veut écouler ses produits en Argentine et en Uruguay. Il engage une belle et coûteuse courtisane pour tourner la tête d’un ministre lors d’une réception à l’ambassade d’Argentine afin d’obtenir son soutien pour ce projet. Au cours de l’histoire apparaissent également un juge d’instruction féminin, une astrologue qui fut jadis une maîtresse du ministre, des directrices en prison soupçonnées d’avoir détourné des fonds publics, etc…

Musicalement, cet opéra est un exemple éclatant qu’un fait contemporain peut également être raconté avec de beaux arias et de grands duos d’amour. Nous croyons que ce livret d’Ivan A. Alexandre aurait un grand avenir sous forme de livre ou de pièce de théâtre. Après l’opéra pour enfants Le joueur de flûte, ceci est le premier grand opéra écrit par le jeune Edouard Lacamp. On lui souhaite beaucoup d’autres…

La direction musicale a été assurée par Sébastien Rouland, qui a été l’assistant de pas moins que Marc Minkowski. Le Nouvel Orchestre et Les Choeurs Lyriques de St Etienne ont largement contribué au succès éclatant de cette création mondiale. C’était fort inhabituel de voir un chœur se mouvoir sur une scène d’opéra avec une assurance digne d’une piste de danse. Le metteur en scène Waldemar Kamer, né à Enschede, a conçu une mise en scène fabuleuse comme on n’en a pas vu depuis des années. Il doit aussi beaucoup aux beaux décors d’Eric Charbeau et de Philippe Casaban et aux costumes élégants et colorés de Jean-Daniel Vuillermoz.

L’imposant rôle-titre semble avoir été écrit spécialement pour la belle soprano Sophie Marin-Degor, qui nous offre scéniquement et vocalement un plaisir continu pour l’œil comme pour l’oreille. (…) Après plus de trois heures de jouissance, le rideau final est tombé. Les ovations étaient aussi impressionnantes que l’œuvre tenue ce soir-là au-dessus des fonts baptismaux. Nous sommes curieux de savoir qui sera le premier directeur d’opéra à redonner ce splendide opéra dans son théâtre.

Willem Verschooten, 20 mai 2003

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OPERNWELT : “une création mondiale ambitieuse

(…) Sophie Marin-Degor est une jeune soprano tout à fait étonnante dotée d’une voix souple et d’un corps quasi élastique, capable de toutes les transformations que lui demande son rôle. Par exemple de jouer la jeune naïve, quand Monsieur le Ministre vient la retrouver au deuxième acte pour un rendez-vous galant au zoo. Le ministre est un charmeur parfait et le rôle semble écrit “sur mesure” pour Christian Jean. Mais à peine a-t-il tourné les talons, qu’une juge apparaît – le jeu est terminé.

Alors que Marianne suivait jusque-là une logique qui rappelle l’opérette – les danses chaloupées à l’ambassade d’Argentine font penser à La veuve joyeuse et la scène au zoo aurait pu être écrite par [le compositeur de Broadway, Stephen] Sondheim – et que les personnages s’adressaient à nous de manière plutôt amusante et ironique, l’acte de la prison du troisième acte nous plonge dans le réel. Nous découvrons les sentiments de Marianne, nous souffrons avec elle quand elle est interrogée par la juge et quand elle reste seule parmi les prisonnières. La grande retenue de Sophie Marin-Degor nous touche plus que tous les grands gestes. (…)

Pour Saint-Etienne, ville minière aux confins du Massif Central, cette création mondiale ambitieuse n’était pas une mince affaire et elle a dû être repoussée d’un an suite à des coupes drastiques dans le budget de l’opéra. (…) Waldemar Kamer a coordonné cette création depuis ses débuts, et élaboré avec les décorateurs Eric Charbeau et Philippe Casaban mise en scène fidèle à la musique – avec beaucoup de clins d’œil, de saillies, de doubles sens intelligents qui stimulent la pensée du spectateur au lieu de lui inculquer une leçon à coups de marteau. Sébastien Rouland dirigeait l’orchestre et les chœurs avec verve, trouvant le ton léger, parfois un peu narquois du compositeur. Lacamp ne se voit pas en avant-gardiste, mais veut écrire une musique qui parle au public. A Saint-Etienne cela a très bien fonctionné – les spectateurs lui ont réservé une franche ovation lors des saluts.

Bernd Feuchtner, juillet 2003

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LE MONDE : “l’actualité comme un livret de Scribe

Une intrigue amoureuse prise dans les tenailles d’une lutte de pouvoirs qu’elle attise et qui la brisent, telle fut la recette du grand opéra romantique qui ne l’avait pas inventée. Et il arrive que l’actualité (comment ne pas penser à l’affaire Elf ?) se lise comme un livret de Scribe. (…) Eugène Scribe aurait pu féliciter Ivan Alexandre d’avoir si bien suivi son exemple pour honorer la commande d’un livret d’opéra destiné à célébrer la réouverture de L’Esplanade, Opéra-Théâtre de Saint-Etienne (détruit par un incendie criminel), et créé le 13 mai 2003.

Sur cet enchaînement habile de duos, ensembles et chœurs reliés par des récitatifs, la musique d’Edouard Lacamp s’est posée comme l’oiseau sur la branche. Une musique tonale, essentiellement vocale, où le chant large, aux lignes fermes, met en valeur la vaillance des voix sans trop nuire à la compréhension du texte. En vrai compositeur dramatique, Lacamp sait trouver le ton juste dans les récitatifs dialogués et, surtout, le rythme des répliques. L’orchestre, taillé à la serpe, soutient plus qu’il ne séduit par lui-même, laissant au chant l’essentiel du charme et aux acteurs le mérite d’emporter peu à peu l’adhésion du spectateur. Christian Jean remplit impeccablement le rôle ambigu du ministre et Vincent Le Texier celui de l’homme d’affaires cynique ; Hélène Perraguin compose une juge inoubliable. La fine direction d’acteurs de Waldemar Kamer a dû y contribuer, mais la présence vocale et dramatique de Sophie Marin-Degor (Marianne) va loin au-delà.

Gérard Condé, 22 décembre 2003

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