Waldemar Kamer

Mises en scène d'Opéra



Notes de mise en scene

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Créer un nouvel opéra

Ou le moment où Marianne me donna enfin ses clés

Mettre en scène un nouvel opéra est d’abord un sujet d’inquiétude. On commence par travailler avec rien et on passe son temps à regarder le compositeur et le librettiste dans les yeux. On essaye par tous les moyens de comprendre leurs angoisses et leurs désirs – à deviner. Mais ces regards suppliants et appuyés sont vains, puisque eux-mêmes ne savent pas encore ce qu’ils produiront… Le temps presse à l’opéra d’une manière terrifiante, puisque la décision qui fonde une mise en scène – définir un “style” – doit être prise plus d’un an avant la première.

Alors le metteur en scène est contraint de jouer le “grand jeu”, de parler de “Marianne” avec un “poker-face” comme s’il venait de dîner avec elle (alors qu’elle ne lui a pas encore donné son numéro de téléphone). C’est fou, à l’entendre parler, comme il semble la connaître ! Il décrit avec précision les lieux qu’elle aime fréquenter, les plats qu’elle préfère, les couleurs qu’elle aime et les animaux qu’elle déteste. Il sait même ce que Marianne porte au petit matin… A chaque parole de notre metteur en scène imposteur le portrait de Marianne devient plus précis pour son équipe (qui exige des précisions) mais aussi pour les auteurs (qui l’écoutent d’un air amusé). Le jeu est grisant, plein d’imprévus. Je ne suis, comme toujours, que l’interprète d’une œuvre qu’on me confie, mais dans le cadre de cette création, en tenant simplement le miroir de l’opéra devant ses auteurs, j’ai senti ce plaisir, inconnu à qui se borne au “répertoire”, de les aider en soufflant dans la corne de brume, de stimuler leur appétit, leur rage et leurs idées.

Ainsi en voyant la maquette d’un costume, Edouard Lacamp s’est dit qu’il pouvait pousser une scène plus loin - et d’un tissu bleu clair scintillant aux reflets métalliques est né l’idée d’un air “intergalactique” pour “Stella”. C’était un moment magique puisque à ce moment précis l’œuvre a commencé à nous parler. Ce jour là Marianne  ne m’avait seulement donné son numéro de téléphone : elle y avait joint ses clés et je pouvais désormais venir chez elle quand je voulais.

La suite du travail a été aussi rassurante que le début a été déroutant. Marianne m’a donné tous les rendez-vous hier refusés. Et elle a enfin répondu à toutes mes questions. Découvrir une œuvre nouvelle, c’est naviguer entre des écueils bien plus nombreux qu’on ne l’imagine avant de commencer  - et qu’on ne peut le penser en voyant une production achevée. Déjà dans un conte de fées aussi simple que Cendrillon de Massenet j’avais butté sur une question toute simple : à quoi le compositeur faisait-il référence en intitulant les grands ballets pseudo-baroques “Les Mandores, La Florentine” et “Le Rigaudon du roi” ? Lully a été surnommé le Florentinpar ses détracteurs. Etait-ce une clef pour “La Florentine” ? J’ai frappé à beaucoup de portes avant d’être certain qu’il n’y avait là aucune référence à Lully, ni au baroque, ni à Florence. Massenet avait jonglé avec des pastiches, voilà tout.

Marianne comporte aussi deux de ces ballets si spécifiques à l’opéra français.  Ils sont pour le moins inattendus : Au premier acte, les invités de l’Ambassadeur d’Argentine dansent deux mambos, et au cinquième acte notre protagoniste exécute une danse javanaise. En préparant la chorégraphie je me suis demandé pourquoi on ne dansait pas plutôt un tango dans une ambassade d’Argentine. Pourquoi ce mambo, danse cubaine des années quarante avec des déhanchements de rumba et des pas de cha-cha-cha ? Brigitte Bardot dansait un mambo on ne peut plus sensuel au bord de la mer dans Et Dieu créa la femme - mais que feront nos trente-six choristes en tenue de cocktail à l’ambassade ? Un rituel vaudou (appelé “mambo”) avec de la viande fraîche argentine ?

Par bonheur de longues réflexions n’étaient pas nécessaires et je n’avais pas besoin de frapper à de nombreuses portes (comme pour Cendrillon). Il me suffisait de poser la question au compositeur que j’ai eu la chance de voir toutes les semaines pendant la gestation de l’opéra. Il m’a répondu que le mambo était une danse de joie que le tango n’était pas. Voilà tout, nous voulions nous amuser ! Même type de réponse pour les origines de la danse javanaise (une curiosité connue que de rares spécialistes au contraire de la danse balinaise). Nous nous sommes rendus à une présentation de ces différentes danses et avons beaucoup ri : on ne fera ni l’une ni l’autre (et d’ailleurs Mata Hari, “danseuse javanaise” autoproclamée, née dans une boutique de chapelier à Leeuwarden, ne voyait certainement pas elle-même la différence entre celles-ci).

Les “pères” de Marianne n’ont pas été trop cruels avec notre équipe. Ils nous ont même encouragés à prendre certaines libertés avec leur “fille”. Ainsi l’ambassade d’Argentine indiquée dans le livret ne ressemble pas du tout aux ambassades sud-américaines en France (toutes dans le plus pur style rococo fin XVIIIe). Nous avons imaginé une bâtisse art-déco où trône un grand bœuf – veau d’or pendant le festin du premier acte et vache hindoue à la fin de l’opéra. Notre jardin des Plantes est également bien loin de la réalité. Bien sûr, j’ai arpenté  celui de Paris avec les décorateurs Eric Charbeau et Philippe Casaban. Mais nos cages ne rappellent en rien celles devant lesquelles Rainer Maria Rilke écrivit La panthère. Elles sont inspirées d’une “folie” construite par le 4e comte de Dunmore dans son domaine de Stirlingshire en Ecosse – en pleine vogue des ananas (en 1761, c’est Louis XV qui les a cultivés le premier, mais il n’y avait que des Ecossais pour ne rien trouver de singulier dans une pareille extravagance). Cette cage en forme d’ananas a même stimulé l’imagination de notre costumier, Jean-Daniel Vuillermoz, qui a inventé ce costume de “rendez-vous galant au zoo” à faire pâlir d’envie les moins prudentes parmi nos élégantes.

De séduction il est partout et sans cesse question dans Marianne (le chef Sébastien Rouland et moi-même demanderons aux interprètes d’abattre “toutes leurs cartes”). L’héroïne représente un nouveau type d’aventurière. Bien sûr, elle aime le luxe comme la Païva, les fleurs comme “la dame aux camélias”, la nature comme Ninon de Lenclos et probablement aussi les hommes bien faits comme Messaline. Elle aime séduire d’honnêtes Messieurs comme “l’Ange bleu” et se sentir protégée par les bras des puissants comme la Pompadour ou la Du Barry. Avant tout elle aime danser comme Lola Montez et Mata Hari. Pourtant, Marianne est unique car elle est d’un autre temps. Elle a été nourrie au lait de notre République dont elle porte le nom.

Le général de Gaulle, lui si droit et vertueux, serait bien étonné qu’on fête le 13 mai 2003 le 45ième anniversaire de son retour au pouvoir (qui marqua l’avènement de la Ve République) avec un opéra aussi peu moral – mais on ne peut jamais prévoir ce que vont devenir les mieux nés et les mieux disposés de nos enfants…

Waldemar Kamer
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